Votre envol trop tôt
Un troisième bébé, c’est une évidence !!! Pourtant c’est à deux que vous avez choisi de vous installer au creux de mon ventre. Je le sens, je le sais, depuis le moment de la conception de cette grossesse qui se confirme par un joli + le 17 mars 2016 et je suis même persuadée que vous serez garçon et fille.
Un milliard de questions fusent dans ma tête : comment va-t-on s’organiser ? Il faudra changer de voiture…et les filles, comment le vivront-elles ? Mais surtout : comment faire pour enfanter hors structure et dans l’intimité de notre couple pour des jumeaux ? Je ne connais (à ce moment-là) aucune sage-femme qui oserait le challenge d’un domicile. Mon âme refuse d’imaginer et de se projeter dans un hôpital. Je bloque…
Et finis par trouver une alternative dans un rêve, que je soumets l’air de rien à mon amoureux « tu serais d’accord qu’on achète ou qu’on loue un camping-car qu’on aménagerait pour y accoucher sur le parking de l’hôpital ? Si tout se passe bien on repart et on appelle notre sage-femme et si ça se complique, on est déjà sur place… ». Mon homme accepte cette idée un peu folle en me disant que « de toutes façons, c’est bien trop tôt pour être sûrs qu’ils sont deux, attendons la première échographie et on verra ».
Et soudain, un matin, quelque chose ne vibre plus pareil en moi. Un petit cœur s’est arrêté, je l’ai perdu, je le sens. Et il est même très clair que c’est l’âme féminine qui s’en est allée, je sais précisément à quel moment elle s'est arrachée de mon ventre. Elle est partie comme elle est venue, sans s’installer vraiment, sa mission accomplie, elle s’est envolée vers d’autres cieux, elle a déjà fait sa vie.
L’horreur de l’ambivalence entre la douleur et l’impuissance de ne pas avoir pu/su déjouer l’inévitable et la joie, exprimée à demi-teinte, de se rattacher à cet autre petit qui est encore là. L’ambivalence horrible du sentiment de porter la mort et la vie dans ce même ventre…Je contacte R., mon amie et thérapeute qui travaille le passage des âmes. Elle me confirme qu’ils étaient deux, et que la mission de cette petite âme était simplement d’accompagner son frère jusqu’à l’incarnation cellulaire et embryonnaire. Ce coup de fil est si apaisant, telle une immense inspiration de Lumière jusque dans mon ventre.
C’est ainsi, la vie est venue et elle s’en est allée. Je me dois de respecter SA vie, SON choix et je la remercie de m’avoir choisie moi pour expérimenter encore un peu plus les nouages de la vie et de la mort. Repose en paix petite Charlotte.
Les semaines se suivent, laissant place à des mois. La maison se remplit de projets, les idées de prénoms, le nouvel aménagement des chambres, la question de la voiture…Nous voilà rendus à 10 semaines déjà !!! Nous faisons le choix d’annoncer la bonne nouvelle, car incapable de mentir ou se retenir de partager ce bonheur. Les pronostics sont lancés, les repas de famille rythmés par le chant de joie à l’idée d’accueillir, encore une fois, un tout petit être.
Arrive enfin la mi-avril, date de la première échographie à douze semaines !!! Tellement de hâte à redécouvrir la magie de l’image de mon bébé dans mon ventre. Je m’y rends remplie de bonheur et d’impatience. La doctoresse me confirme qu’il y a bien une grossesse, mais qu’elle est bien plus jeune que ce que mon test révèle…selon elle, plutôt 5-6 semaines. Je n’y comprends plus rien…Comment est-ce possible que j’ai eu mon positif ce 17 mars, il y a TROIS mois, et que tu n’aies que 5 ou 6 semaines ? Mais je le vois, en effet, tu ne ressembles pas encore à un bébé de trois mois.
L’échographie confirmera également que vous étiez bien deux au début et que ta sœur s’est envolée, ne laissant sur son passage que de la poussière d’étoiles à l’image des restes de son sac embryonnaire visible à côté de toi.
C’est le début du doute et des peurs, du besoin viscéral de comprendre et pour toute réponse, l’incompréhension. Il faut lâcher-prise et se laisser surprendre me dit la doctoresse, « parfois il se passe de choses qu’on ne peut expliquer en obstétrique ». J’ai rendez-vous la semaine prochaine pour voir ton évolution et dater plus précisément cette grossesse. Ok, je fais le choix de faire confiance, en attendant. Une semaine, ce n’est pas long, ça ira…
Mais dans une semaine, il y a bien sept jours…et très beaucoup d’heures, trop d’heures. Trop d’heures à douter, à réfléchir, à vouloir comprendre comment c’est possible ? Mon intuition me joue des tours et me semble bien cruelle, il y a quelque chose qui cloche, ce n’est pas possible !!!
Je suis enceinte de douze semaines et demies, partout. Mon ventre ne peut pas s’être arrondi autant, les filles n’ont pas pu faire tous ces dessins et imaginer ce petit frère ou cette petite sœur, nos rêves et notre entourage vit avec l’idée de ce bébé qui arrivera fin novembre.
Nous sommes dans la salle d’attente, une semaine après. Je tremble de partout, le stress est là, celui d’un examen de passage que je ne peux pas rater. Et cette satané intuition qui me crie que quelque chose n’est pas ok, et que j’ai bien raison d’être stressée.
Je m’allonge sur la table. Et tu apparais, toujours pareil, si petit, telle une crevette repliée sur elle-même…tu n’es définitivement pas un bébé de trois mois et demi. Tu n’as pas grandi !!! Bon sang, pourquoi n’as-tu pas grandi ? Pourquoi ne voit-on pas ton cœur qui bat ?
Il y a trop de doutes, il faut faire une prise de sang aujourd’hui et en refaire une dans deux jours pour mesurer le taux de BetaHCG entre les deux.
Je sais que cela n’annonce rien de bon, je le sens. Mais une petite voix à la con continues de me répéter « Il arrive des choses miraculeuses et incompréhensibles en obstétrique. »
Deux jours plus tard, reprise de sang. La doctoresse est contente du taux de la première prise de sang, car le BetaHCG était bien haut et indiquait bien une grossesse de six ou sept semaines. Ok. Si elle est contente, et qu’elle y voit un espoir, je peux le faire encore moi aussi.
Deux jours plus tard encore, elle m’appelle pour me dire ce que je sais déjà…
« La différence du taux entre les deux prises de sang montre que la grossesse est en train de s’arrêter, je suis désolée Audrey. »
J’accuse le coup, enfin, c’est ce que je crois. La quatrième perte d’un bébé ! Et mon intuition qui me crie qu’elle le savait bien !!! Les projets qui s’envolent, treize putains de semaines de projets et d’espoirs qui s’envolent en un coup de fil. La vie d’avant qui refait surface. Le sentiment d’être dans le jeu de l’échelle et tomber sur la GRAAAAANNNNDE échelle qui te flanque sur la case départ alors que tu étais près de gagner. Je n’ai plus envie de jouer.
Il faut l’annoncer à mon chéri, aux filles et à nos proches. L’annoncer aux filles ?!? Les mots sortent de ma bouche et sonnent comme un couperet sur ma nuque : « Le bébé dans mon ventre est mort. Il n’y aura pas de petit frère ou de petite sœur avant noël. On ne sait pas pourquoi. C’est comme ça, parfois ça arrive. »
Pleurer en famille, pleurer de leur infliger un tel chagrin. Se sentir coupable de leur tristesse et de la mienne aussi, coupable de ne pas avoir sur garder, couver et protéger ton petit corps et ton âme.
Je refuse toute médication. Je veux accoucher chez moi et voir ce bébé !!! Et je veux lui laisser le temps dont il aura besoin pour s’en aller, pour naître ET s’en aller. Je veux le rencontrer, l’observer, me rendre à l’évidence que son corps ne vibre pas et lui dire au revoir. Mais pas maintenant…je ne suis pas prête.
J’ai l’immense chance que ma gynécologue soit en accord avec mes désirs et ne me stresse pas pour cette naissance.
Oui, cette naissance. Car, bien qu’au yeux des médecins, ce n’est pas un accouchement, mais une « fausse couche » ou « l’expulsion d’une grossesse arrêtée » avant 24 semaines, pour moi c’est un accouchement.
Je suis enceinte de quatorze semaines, en ce 1er mai 2016 quand je commence à contracter. Je t’aurais porté, aimé, nourri et rêvé durant treize semaines, puis je t’ai accepté, mort en moi durant une semaine. Je t’ai attendu sept jours, mêlés entre impatience que tout soit fini et espoir que tout n’était qu’un cauchemar.
Nous sommes au cortège de la Fête des Musique, lorsque je sens que je dois aller vider ma cup. Quelle bêtise d’être venus ici !!! Je veux rentrer tout de suite pour vivre cette naissance à la maison, mais le sang déborde, je dois d’abord aller vider cette cup une fois. Je la vide dans le lavabo au fond duquel j’ai déposé du papier toilette pour ne pas te perdre. Par chance, il n’y a que du sang…
A peine cinq minutes après l’avoir vidé, ma cup est pleine à nouveau !!! Ce n’est pas possible. Je m’arrête dans une autre toilette et je mets une couche bébé dans ma culotte pour absorber le sang qui déborde, je refuse de vider la cup ici, par peur que tu ne soies déjà là. On rentre, mon pantalon est maculé de sang. Je cours dans la douche…c’est ici que je vais te mettre au monde. Les contractions s’enchaînent et s’intensifient. Je retire ma cup et un immense caillot est expulsé, sous le choc, je ne réalise pas ce que c’est…le sang coule en filet. J’appelle mon homme, je veux mon téléphone pour appeler ma sage-femme, elle saura me rassurer et me guider. Je tremble de partout, elle décroche et accueille mes larmes. Doucement, elle m’explique que ce doit être un caillot et que tu dois te trouver à l’intérieur « une petite poche, comme un œuf transparent et dedans, tu devrais voir une sorte de crevette ». Je te cherche, mais ne trouve rien…
Je sens que je perds pied, Dominique revient vers moi et décide d’appeler sa maman pour gérer les filles au cas où. Cinq minutes après, il revient me voir dans la salle-de-bains, le sang continue de couler, je me sens partir un peu, il décide d’appeler l’ambulance. Douze minutes plus tard ils sont là, et je reprends mes esprits. Je pourrai même me lever pour aller sur la chaise roulante et être emmenée dans l’ambulance.
Je suis prise en charge rapidement, l’hémorragie est estimée à 1,5 litre et l’échographie montrera que malgré tout cela tu es encore là, bien accroché à ton nid…
Je n’ai plus le choix de la médicalisation, un curetage est prévu dans les minutes qui viennent parce que mon utérus est rempli de caillots et je continue de saigner. On nous demande si nous avons des questions. Ton papa transmet que nous souhaitons te récupérer. « En principe les embryons sont envoyés en pathologie et il n’est pas possible de les récupérer, mais pour quoi faire ?» sera la seule réponse que nous obtiendrons dans l’urgence. On m’emmène au bloc.
La salle de réveil, les premiers signes de ma sortie de sommeil, la gorge qui gratte, la bouche sèche et surtout le vide dans mon ventre ! Je pleure les larmes de mon corps, cette fois tu n’es plus là. Me voilà à nouveau vide et seule. Je t’ai perdu, tu n’es plus là…Je ne veux pas de cette vie qui recommence, je ne veux pas d’un autre bébé que toi, je refuse de tout recommencer !!!
Rapidement, je peux monter en chambre, retrouver mon amoureux et pleurer dans ses bras quelques minutes avant qu’il ne soit gentiment mis dehors car les heures de visites sont dépassées.
Seule dans la chambre, je réalise à peine tout ce qu’il s’est passé depuis le matin, et soudain me vient une seule obsession : où es-tu maintenant ?
L’infirmière de nuit est une perle, elle me rassure et me rappelle que PERSONNE ne t’enverra en pathologie si nous ne le souhaitons pas. Et que je suis même en droit de signer une décharge pour pouvoir te récupérer, elle fera le nécessaire dès la première heure le lendemain.
Vers onze heures, le chef de service vient me voir en personne avec un bocal en plastique blanc dans lequel tu te trouves. On m’annonce que « cela ne s’est jamais fait, mais comme c’est quelque chose d’important pour nous, ils ont souhaité être à l’écoute et nous laisser te récupérer. »
Je me sens soulagée et heureuse d’avoir pu être respectée dans ce choix. Nous rentrons à la maison. Entre bonheur et tristesse que tout soit fini, nous parlons longuement avec les filles…
J’ai besoin de te donner un prénom. Tu as existé durant 14 semaines dans mes rêves et mes projets, je ne peux pas me résoudre à ne pas te nommer. Je me rends dans un brico shop pour y trouver une boîte en carton en forme de cœur et des plumes blanches. Nous avons mis ton bocal dans notre frigo en attendant le bon moment pour la cérémonie que nous souhaitons te donner.
Les filles participent en faisant un dessin, Naomie découpera les lettres des prénoms de ta sœur et toi que nous collerons sur le couvercle.
C’est le 4 mai que nous nous décidons à faire le pas…nous plaçons les filles pour quelques heures et nous rendons dans une forêt que nous aimons juste derrière chez nous. Ton papa avec sa pioche et sa pelle sur le dos, moi avec mon petit sac, ton bocal, ta petite boîte décorée et deux bougies. Nous trouvons un immense arbre magnifique, il creuse un petit trou, je prépare les bougies et la boîte en carton. Nous ouvrons alors ton bocal et te découvrons, dans ton liquide, minuscule, recroquevillé. Ton crâne, et l’ébauche de ta colonne vertébrale, de tes côtes et de tes membres sont visibles à travers ton enveloppe translucide. Notre tout petit ! Ton papa te dépose sur les plumes blanches dans la petite boîte, je la referme. Sur le couvercle, vos deux prénoms couleur arc-en-ciel ornent le cœur en carton. On dépose la boîte dans le trou et on la recouvre de terre. Nous allumons vos 2 bougies au pied de cet arbre. Votre papa m’enlace, nos larmes se mélangent sur nos joues, nous restons là un moment à pleurer ensemble, dans le silence de cette forêt, dans le silence de nos mots…
CHARLOTTE, ELIOTT
MERCI d’être venus m’apprendre un peu plus encore le chemin vers MOI M’AIME, MERCI de nous avoir choisis comme parents, MERCI pour votre confiance en nous. Je ne vous oublierai jamais et je vous AIME
Un milliard de questions fusent dans ma tête : comment va-t-on s’organiser ? Il faudra changer de voiture…et les filles, comment le vivront-elles ? Mais surtout : comment faire pour enfanter hors structure et dans l’intimité de notre couple pour des jumeaux ? Je ne connais (à ce moment-là) aucune sage-femme qui oserait le challenge d’un domicile. Mon âme refuse d’imaginer et de se projeter dans un hôpital. Je bloque…
Et finis par trouver une alternative dans un rêve, que je soumets l’air de rien à mon amoureux « tu serais d’accord qu’on achète ou qu’on loue un camping-car qu’on aménagerait pour y accoucher sur le parking de l’hôpital ? Si tout se passe bien on repart et on appelle notre sage-femme et si ça se complique, on est déjà sur place… ». Mon homme accepte cette idée un peu folle en me disant que « de toutes façons, c’est bien trop tôt pour être sûrs qu’ils sont deux, attendons la première échographie et on verra ».
Et soudain, un matin, quelque chose ne vibre plus pareil en moi. Un petit cœur s’est arrêté, je l’ai perdu, je le sens. Et il est même très clair que c’est l’âme féminine qui s’en est allée, je sais précisément à quel moment elle s'est arrachée de mon ventre. Elle est partie comme elle est venue, sans s’installer vraiment, sa mission accomplie, elle s’est envolée vers d’autres cieux, elle a déjà fait sa vie.
L’horreur de l’ambivalence entre la douleur et l’impuissance de ne pas avoir pu/su déjouer l’inévitable et la joie, exprimée à demi-teinte, de se rattacher à cet autre petit qui est encore là. L’ambivalence horrible du sentiment de porter la mort et la vie dans ce même ventre…Je contacte R., mon amie et thérapeute qui travaille le passage des âmes. Elle me confirme qu’ils étaient deux, et que la mission de cette petite âme était simplement d’accompagner son frère jusqu’à l’incarnation cellulaire et embryonnaire. Ce coup de fil est si apaisant, telle une immense inspiration de Lumière jusque dans mon ventre.
C’est ainsi, la vie est venue et elle s’en est allée. Je me dois de respecter SA vie, SON choix et je la remercie de m’avoir choisie moi pour expérimenter encore un peu plus les nouages de la vie et de la mort. Repose en paix petite Charlotte.
Les semaines se suivent, laissant place à des mois. La maison se remplit de projets, les idées de prénoms, le nouvel aménagement des chambres, la question de la voiture…Nous voilà rendus à 10 semaines déjà !!! Nous faisons le choix d’annoncer la bonne nouvelle, car incapable de mentir ou se retenir de partager ce bonheur. Les pronostics sont lancés, les repas de famille rythmés par le chant de joie à l’idée d’accueillir, encore une fois, un tout petit être.
Arrive enfin la mi-avril, date de la première échographie à douze semaines !!! Tellement de hâte à redécouvrir la magie de l’image de mon bébé dans mon ventre. Je m’y rends remplie de bonheur et d’impatience. La doctoresse me confirme qu’il y a bien une grossesse, mais qu’elle est bien plus jeune que ce que mon test révèle…selon elle, plutôt 5-6 semaines. Je n’y comprends plus rien…Comment est-ce possible que j’ai eu mon positif ce 17 mars, il y a TROIS mois, et que tu n’aies que 5 ou 6 semaines ? Mais je le vois, en effet, tu ne ressembles pas encore à un bébé de trois mois.
L’échographie confirmera également que vous étiez bien deux au début et que ta sœur s’est envolée, ne laissant sur son passage que de la poussière d’étoiles à l’image des restes de son sac embryonnaire visible à côté de toi.
C’est le début du doute et des peurs, du besoin viscéral de comprendre et pour toute réponse, l’incompréhension. Il faut lâcher-prise et se laisser surprendre me dit la doctoresse, « parfois il se passe de choses qu’on ne peut expliquer en obstétrique ». J’ai rendez-vous la semaine prochaine pour voir ton évolution et dater plus précisément cette grossesse. Ok, je fais le choix de faire confiance, en attendant. Une semaine, ce n’est pas long, ça ira…
Mais dans une semaine, il y a bien sept jours…et très beaucoup d’heures, trop d’heures. Trop d’heures à douter, à réfléchir, à vouloir comprendre comment c’est possible ? Mon intuition me joue des tours et me semble bien cruelle, il y a quelque chose qui cloche, ce n’est pas possible !!!
Je suis enceinte de douze semaines et demies, partout. Mon ventre ne peut pas s’être arrondi autant, les filles n’ont pas pu faire tous ces dessins et imaginer ce petit frère ou cette petite sœur, nos rêves et notre entourage vit avec l’idée de ce bébé qui arrivera fin novembre.
Nous sommes dans la salle d’attente, une semaine après. Je tremble de partout, le stress est là, celui d’un examen de passage que je ne peux pas rater. Et cette satané intuition qui me crie que quelque chose n’est pas ok, et que j’ai bien raison d’être stressée.
Je m’allonge sur la table. Et tu apparais, toujours pareil, si petit, telle une crevette repliée sur elle-même…tu n’es définitivement pas un bébé de trois mois et demi. Tu n’as pas grandi !!! Bon sang, pourquoi n’as-tu pas grandi ? Pourquoi ne voit-on pas ton cœur qui bat ?
Il y a trop de doutes, il faut faire une prise de sang aujourd’hui et en refaire une dans deux jours pour mesurer le taux de BetaHCG entre les deux.
Je sais que cela n’annonce rien de bon, je le sens. Mais une petite voix à la con continues de me répéter « Il arrive des choses miraculeuses et incompréhensibles en obstétrique. »
Deux jours plus tard, reprise de sang. La doctoresse est contente du taux de la première prise de sang, car le BetaHCG était bien haut et indiquait bien une grossesse de six ou sept semaines. Ok. Si elle est contente, et qu’elle y voit un espoir, je peux le faire encore moi aussi.
Deux jours plus tard encore, elle m’appelle pour me dire ce que je sais déjà…
« La différence du taux entre les deux prises de sang montre que la grossesse est en train de s’arrêter, je suis désolée Audrey. »
J’accuse le coup, enfin, c’est ce que je crois. La quatrième perte d’un bébé ! Et mon intuition qui me crie qu’elle le savait bien !!! Les projets qui s’envolent, treize putains de semaines de projets et d’espoirs qui s’envolent en un coup de fil. La vie d’avant qui refait surface. Le sentiment d’être dans le jeu de l’échelle et tomber sur la GRAAAAANNNNDE échelle qui te flanque sur la case départ alors que tu étais près de gagner. Je n’ai plus envie de jouer.
Il faut l’annoncer à mon chéri, aux filles et à nos proches. L’annoncer aux filles ?!? Les mots sortent de ma bouche et sonnent comme un couperet sur ma nuque : « Le bébé dans mon ventre est mort. Il n’y aura pas de petit frère ou de petite sœur avant noël. On ne sait pas pourquoi. C’est comme ça, parfois ça arrive. »
Pleurer en famille, pleurer de leur infliger un tel chagrin. Se sentir coupable de leur tristesse et de la mienne aussi, coupable de ne pas avoir sur garder, couver et protéger ton petit corps et ton âme.
Je refuse toute médication. Je veux accoucher chez moi et voir ce bébé !!! Et je veux lui laisser le temps dont il aura besoin pour s’en aller, pour naître ET s’en aller. Je veux le rencontrer, l’observer, me rendre à l’évidence que son corps ne vibre pas et lui dire au revoir. Mais pas maintenant…je ne suis pas prête.
J’ai l’immense chance que ma gynécologue soit en accord avec mes désirs et ne me stresse pas pour cette naissance.
Oui, cette naissance. Car, bien qu’au yeux des médecins, ce n’est pas un accouchement, mais une « fausse couche » ou « l’expulsion d’une grossesse arrêtée » avant 24 semaines, pour moi c’est un accouchement.
Je suis enceinte de quatorze semaines, en ce 1er mai 2016 quand je commence à contracter. Je t’aurais porté, aimé, nourri et rêvé durant treize semaines, puis je t’ai accepté, mort en moi durant une semaine. Je t’ai attendu sept jours, mêlés entre impatience que tout soit fini et espoir que tout n’était qu’un cauchemar.
Nous sommes au cortège de la Fête des Musique, lorsque je sens que je dois aller vider ma cup. Quelle bêtise d’être venus ici !!! Je veux rentrer tout de suite pour vivre cette naissance à la maison, mais le sang déborde, je dois d’abord aller vider cette cup une fois. Je la vide dans le lavabo au fond duquel j’ai déposé du papier toilette pour ne pas te perdre. Par chance, il n’y a que du sang…
A peine cinq minutes après l’avoir vidé, ma cup est pleine à nouveau !!! Ce n’est pas possible. Je m’arrête dans une autre toilette et je mets une couche bébé dans ma culotte pour absorber le sang qui déborde, je refuse de vider la cup ici, par peur que tu ne soies déjà là. On rentre, mon pantalon est maculé de sang. Je cours dans la douche…c’est ici que je vais te mettre au monde. Les contractions s’enchaînent et s’intensifient. Je retire ma cup et un immense caillot est expulsé, sous le choc, je ne réalise pas ce que c’est…le sang coule en filet. J’appelle mon homme, je veux mon téléphone pour appeler ma sage-femme, elle saura me rassurer et me guider. Je tremble de partout, elle décroche et accueille mes larmes. Doucement, elle m’explique que ce doit être un caillot et que tu dois te trouver à l’intérieur « une petite poche, comme un œuf transparent et dedans, tu devrais voir une sorte de crevette ». Je te cherche, mais ne trouve rien…
Je sens que je perds pied, Dominique revient vers moi et décide d’appeler sa maman pour gérer les filles au cas où. Cinq minutes après, il revient me voir dans la salle-de-bains, le sang continue de couler, je me sens partir un peu, il décide d’appeler l’ambulance. Douze minutes plus tard ils sont là, et je reprends mes esprits. Je pourrai même me lever pour aller sur la chaise roulante et être emmenée dans l’ambulance.
Je suis prise en charge rapidement, l’hémorragie est estimée à 1,5 litre et l’échographie montrera que malgré tout cela tu es encore là, bien accroché à ton nid…
Je n’ai plus le choix de la médicalisation, un curetage est prévu dans les minutes qui viennent parce que mon utérus est rempli de caillots et je continue de saigner. On nous demande si nous avons des questions. Ton papa transmet que nous souhaitons te récupérer. « En principe les embryons sont envoyés en pathologie et il n’est pas possible de les récupérer, mais pour quoi faire ?» sera la seule réponse que nous obtiendrons dans l’urgence. On m’emmène au bloc.
La salle de réveil, les premiers signes de ma sortie de sommeil, la gorge qui gratte, la bouche sèche et surtout le vide dans mon ventre ! Je pleure les larmes de mon corps, cette fois tu n’es plus là. Me voilà à nouveau vide et seule. Je t’ai perdu, tu n’es plus là…Je ne veux pas de cette vie qui recommence, je ne veux pas d’un autre bébé que toi, je refuse de tout recommencer !!!
Rapidement, je peux monter en chambre, retrouver mon amoureux et pleurer dans ses bras quelques minutes avant qu’il ne soit gentiment mis dehors car les heures de visites sont dépassées.
Seule dans la chambre, je réalise à peine tout ce qu’il s’est passé depuis le matin, et soudain me vient une seule obsession : où es-tu maintenant ?
L’infirmière de nuit est une perle, elle me rassure et me rappelle que PERSONNE ne t’enverra en pathologie si nous ne le souhaitons pas. Et que je suis même en droit de signer une décharge pour pouvoir te récupérer, elle fera le nécessaire dès la première heure le lendemain.
Vers onze heures, le chef de service vient me voir en personne avec un bocal en plastique blanc dans lequel tu te trouves. On m’annonce que « cela ne s’est jamais fait, mais comme c’est quelque chose d’important pour nous, ils ont souhaité être à l’écoute et nous laisser te récupérer. »
Je me sens soulagée et heureuse d’avoir pu être respectée dans ce choix. Nous rentrons à la maison. Entre bonheur et tristesse que tout soit fini, nous parlons longuement avec les filles…
J’ai besoin de te donner un prénom. Tu as existé durant 14 semaines dans mes rêves et mes projets, je ne peux pas me résoudre à ne pas te nommer. Je me rends dans un brico shop pour y trouver une boîte en carton en forme de cœur et des plumes blanches. Nous avons mis ton bocal dans notre frigo en attendant le bon moment pour la cérémonie que nous souhaitons te donner.
Les filles participent en faisant un dessin, Naomie découpera les lettres des prénoms de ta sœur et toi que nous collerons sur le couvercle.
C’est le 4 mai que nous nous décidons à faire le pas…nous plaçons les filles pour quelques heures et nous rendons dans une forêt que nous aimons juste derrière chez nous. Ton papa avec sa pioche et sa pelle sur le dos, moi avec mon petit sac, ton bocal, ta petite boîte décorée et deux bougies. Nous trouvons un immense arbre magnifique, il creuse un petit trou, je prépare les bougies et la boîte en carton. Nous ouvrons alors ton bocal et te découvrons, dans ton liquide, minuscule, recroquevillé. Ton crâne, et l’ébauche de ta colonne vertébrale, de tes côtes et de tes membres sont visibles à travers ton enveloppe translucide. Notre tout petit ! Ton papa te dépose sur les plumes blanches dans la petite boîte, je la referme. Sur le couvercle, vos deux prénoms couleur arc-en-ciel ornent le cœur en carton. On dépose la boîte dans le trou et on la recouvre de terre. Nous allumons vos 2 bougies au pied de cet arbre. Votre papa m’enlace, nos larmes se mélangent sur nos joues, nous restons là un moment à pleurer ensemble, dans le silence de cette forêt, dans le silence de nos mots…
CHARLOTTE, ELIOTT
MERCI d’être venus m’apprendre un peu plus encore le chemin vers MOI M’AIME, MERCI de nous avoir choisis comme parents, MERCI pour votre confiance en nous. Je ne vous oublierai jamais et je vous AIME